Témoignage d’une maman bénévole de l’association BERSE

À l’occasion du mois de la prématurité, une maman bénévole de l’association BERSE partage son histoire.

« Fin avril 2013.

Tout allait bien. Les cinq premiers mois de grossesse s’étaient déroulés sans aucun problème. Et puis, en quelques jours, mon corps a commencé à envoyer des signaux étranges, incontrôlables.

Dans la nuit du 1er mai, à la clinique Brétéché de Nantes, l’annonce tombe. Brutale :

« Vous faites une prééclampsie, la seule guérison est l’accouchement. »

Moi je n’avais jamais entendu parler de ça. Je ne comprenais pas de quoi on me parlait, je ne mesurais pas le danger. Tout ce que je comprenais, c’est que moi et ce bébé dans mon ventre… c’était devenu impossible. J’accepte le diagnostic, mais dans ma tête c’est la tempête : est-il viable à 6 mois ? Quelles sont ses chances de survie ?

Je suis sidérée. Comme si le temps s’arrêtait. Et une seule phrase tourne en boucle dans mon esprit :

« Il ne peut plus rien nous arriver d’affreux maintenant. » (Oui, réplique culte de La Cité de la Peur. Mais parfois, l’humour sauve de tout.)

Transférée au CHU, je vis une semaine dans une bulle. Actrice de ma situation, spectatrice du monde autour. Deux pensées s’affrontent : 

– Que mon bébé tienne. Qu’il ait toutes ses chances. (Je mange tout ce que je peux. On estime son poids à 600g, c’est trop peu.)

La peur du couperet : l’accouchement que je ne veux pas voir arriver. (On m’a dit que chaque jour gagné est une victoire pour lui. Alors tous les jours je lui fait écouter « résiste de France Gall »)

Avec du recul, je comprends pourquoi : il me manquait des repères. Je ne savais pas à quoi pouvait ressembler un bébé de 6 mois, estimé alors à 600 grammes. Les mots des médecins nous avaient préparés. Mais la réalité physique… ça, rien ne pouvait y préparer. Et puis, le 10 mai, tout s’est accéléré…


800 grammes de vie

La nuit du 9 au 10 mai, tout bascule. 7h du matin, malaise. Urgence vitale. On m’endort. Césarienne d’urgence. Deux heures plus tard, notre fille naît : 800 grammes (Une « belle perf » vais-je penser après coup, je ne me suis pas engloutie pour rien !). Moi, je ne l’apprends qu’au réveil, bien plus tard dans la journée, par mon conjoint qui me l’annonce par son prénom.

Lui : Elle s’appelle « FA… ».

Ma réaction ? « Ah tu as gagné, c’est une fille ! »

Lui : « Et pour son prénom tu veux l’écrire comment ? »

Moi : « Avec deux N, elle aura plus de force. »

Le premier contact ? Une photo prise par le Dr Muller. Mon conjoint me la montre… mais je ne vois rien. À cause de la prééclampsie, mes yeux ont été touchés : mes rétines se sont décollées et ma vue est vraiment affectée. Puis une infirmière m’appelle pour donner des nouvelles de notre fille, car je suis hospitalisée en unité d’urgence à l’autre bout de la réanimation néonatale.

Elle est là, à quelques centaines de mètres seulement… mais je suis coincée ailleurs. J’avais un bébé dans mon ventre et la il est vide et y’a pas de bébé dans cette chambre. Je comprends sa naissance, sans la réaliser. 24h après la naissance, on déplace mon lit jusqu’en réa néonat pour la première rencontre. C’est magique et flippant en même temps. Il fait sombre, je ne distingue presque rien. Mais en peau à peau, ce minuscule bébé se ventouse à moi, une sensation indescriptible, l’énergie que je ressens est folle.

Elle est bien là. Je découvre qu’on peut être mère même sans voir son enfant.

Le lendemain, sous la lumière du jour, le choc est brutal. Ma fille ne ressemble à rien de ce que j’avais imaginé. Et avec ça, une peur viscérale : comment m’attacher à un bébé que je peux perdre à tout moment ? 

Je découvre sa couveuse, les fils, les perfusions, les bruits du scop. Je me sens inutile. Jusqu’aux paroles du Dr Muller : « Vous pouvez glisser vos mains, la toucher (sans caresser). Même lui parler, lui chanter quelque chose. »

Alors j’ose. Et une chanson improbable sort, spontanée, larmes aux yeux et voix tremblante :  “Ah qu’est-ce qu’on est serré, au fond de cette boîte… chantent les Sardines !”

Merci Patrick Sébastien. Je hais cette chanson, mais ce sera notre hymne tout au long de l’hospitalisation. À cet instant, j’ai senti un déclic. C’était parti pour osciller entre le meilleur : la douceur et l’amour… et le pire : la peur et le désespoir. La joie des montagnes russes émotionnelles. Reste à apprivoiser notre quotidien au CHU. Et croyez-moi, en néonat, il y a de quoi écrire un guide de survie…



Le quotidien, couveuse, bips et mini-couches

Les premiers jours, j’étais encore hospitalisée… mais pas avec elle.

Dans le service des jeunes mamans, entourée de pleurs de bébés en pleine santé, de rires, de cadeaux de naissance. La joie règne à cet étage et moi dans mon crane c’est bien sombre. L’étage du dessus est nettement plus angoissant. Alors chaque matin, dès l’aube, on rejoignait la réanimation néonatale avec mon conjoint. On y passait nos journées, jusqu’au soir.

Une semaine plus tard, on me demande de libérer ma chambre : « Vous n’avez pas de bébé ici, et plus de raison médicale de rester. »

Bonne nouvelle pour moi mais c’est un déchirement (partagée entre l’envie de retrouver mon confort et mon conjoint, et la douleur de la laisser seule la nuit). Soulagement pour lui (il me sait en bonne santé et nous sommes enfin réunis après presque 1 mois).

Je rentrais à la maison le soir, la laissant seule à 3 km de là.

De 9h à 22h, je vivais au rythme de sa chambre. Le scop, le tableau blanc avec ses constantes, je me les appropriais. Telle une interne en médecine, comme si comprendre chaque détail pouvait m’aider à la veiller en bonne santé. Et puis un jour, j’ai compris que j’avais un rôle, moi aussi. En arrivant dans le service, j’entends une chambre qui bip de partout. Forcément, c’est celle de notre fille. À peine on entre, on parle, on essaie d’apaiser. Un coup de gel hydroalcoolique, on glisse nos mains dans la couveuse… et je chante Les Sardines. Le silence réapparaît. À ce moment-là, j’ai su et compris que notre présence comptait.

Puis il y a eu les premiers gestes de parents. Un bonnet qui tient dans une main. Des couches si minuscules que je ne savais même pas qu’elles existaient. Ca ce sont les doux moments. Et puis… les bradycardies. Ces arrêts cardiaques fréquents en réa. Terrifiants au début. Les bips hurlent, une ou plusieurs infirmières courent à votre bébé. On comprends le pire. Puis, peu à peu, on apprend : un bip, une petite tape dans le dos, et son cœur repart. Fou, comment peut-on s’habituer à ça ? 

Un mois et demi en réa, trois semaines en soins intensifs, deux semaines en néonat. Toujours en chambre seule, grâce notamment à mon lait : ce besoin d’intimité ouvrait parfois l’accès à ces chambres rares. La dernière semaine, c’est l’étape de transition : h24 ensemble à l’hôpital. Un lit de camp pour moi, une couveuse décapotable pour elle. Tout allait bien, et pourtant, toujours ces bips. Le silence me manquait, vraiment. Et enfin, la maison. Le vrai début. On est fin juillet 2013. 12 ans plus tard, l’émotion est toujours vive mais le traumatisme est passé. Elle va merveilleusement bien, elle connait son histoire, elle nous rend fière.

Ce qui nous a le plus manqué dans ces mois, c’est de pouvoir rester auprès d’elle sans contrainte, jour et nuit, sans avoir à la quitter à contrecœur. L’angoisse de voir s’afficher le numéro du CHU quand nous n’étions pas là. L’angoisse d’appeler pour avoir des nouvelles. Les surinterprétations sur les « bêtises » (les bradycardies) qu’elle avait pu faire la nuit.

Et chaque matin, le même rituel pour se rassurer : « Elle est en vie. Habille-toi vite. Va la voir. »

Depuis plus de deux ans j’ai transformé cette épreuve en engagement : je suis bénévole au sein de l’association BERSE et nous œuvrons pour créer des chambres parentales en néonat, afin que les parents puissent rester jour et nuit auprès de leur bébé.

Parce qu’en réanimation, il faut des machines.

Mais surtout, il faut des parents. »

Merci à elle pour son précieux témoignage. Vos récits aident à mieux comprendre, mieux accompagner et à faire évoluer les conditions d’accueil en néonatologie.